1914-1918: La guerre de mon grand-père Louis Pommery
Le village est à l’écart des
grandes voies de communication auxquelles le relie, malgré tout, des chemins
vicinaux. Celui qui rejoint la route de Ham traverse de riches terres de
culture où alternent blé et betteraves où seuls quelques boqueteaux rompent la
monotonie des champs alignés. Les autres qui conduisent aux routes menant à
Saint-Quentin par Dury ou Saint-Simon longent la vallée de la Somme à laquelle
ils doivent leur aspect verdoyant. De Saint-Simon à Ollezy, la chaussée à peine
surélevée, s’insère entre les marais miroitants. Sur tous ces chemins,
l’approche du village se signale par l’odeur caractéristique des feux de
tourbe, extraite de la vallée et se substituant agréablement – pour l’odorat! –
au charbon de bois.
Ollezy regroupe alors quatre
fermes dont les deux plus importantes cultivent chacune quelques cent cinquante
hectares. Elles ont la disposition traditionnelle des fermes picardes, les
bâtiments de briques – écuries, granges, bergeries, remises, maison
d’habitation – entourant une grande cour au milieu de laquelle s’élève le tas
de fumier. L’endroit possède aussi son «château», qui s’avère être plutôt une
grande bâtisse sans intérêt s’élevant au milieu d’un vaste parc planté de beaux
arbres.
Et puis, bien sûr, comme dans
toute commune française, petite ou grande, il y a l’église, minuscule et très
vieille, où la messe est souvent plus braillée que chantée par un vieux chantre
que soutient de toute sa voix le maire du village. Parfois, ce dernier s’endort
au beau milieu de l’office puis se réveille brusquement pour reprendre en
vigueur le chant interrompu! Peu d’hommes dans l’assistance mais des femmes
toutes vêtues de noir – comme c’est l’usage à cette époque dans les campagnes
–, sauf les «dames du château», dont les élégantes robes blanches font un peu
scandale!
Mais, ce qui nous intéresse se
passe ailleurs. En ce dimanche 26 juillet 1914 d’un été chaud et radieux comme
on n’en avait pas connu depuis bien longtemps, il y a la fête au village. Alors
que le monde occidental est au bord d’une implosion désastreuse qui mettra fin,
dans seulement huit jours, à toute une façon de vivre et de concevoir le monde,
le jardin de la ferme Legrand, une des plus grandes d’Ollezy, respire la joie
qui se lit sur le visage de deux jeunes amoureux de vingt ans, nés tous les
deux en l’année 1893 à Saint-Quentin. Une année qui voit José Marie de Heredia
publier «Les Trophées», Anatole France achever «La Rôtisserie de la Reine
Pédauque», Georges Courteline offrir au théâtre ses «Messieurs les Ronds de
Cuir», Verdi donner la première de son opéra «Falstaff», Henri Ford construire
sa première voiture et le scandale de Panama parvenir à son zénith avec la
condamnation du député Baïhaut. Cependant, deux décennies plus tard, en ce jour
estival, entourés de leurs proches, Louis et Louise – oui, cela ne s’invente
pas! – ne pensent qu’à leur bonheur présent et futur. Ils se fiancent enfin et
se jurent une nouvelle fois fidélité pour la vie. Et ce serment, ils le
tiendront pendant près de soixante ans, jusqu’à la disparition de Louis…
Profitant des ombrages et des
parterres de fleurs, il y a là la famille et les amis. Bien sûr, il y a la
maîtresse de maison, la grand-mère maternelle de Louise, Lucy Legrand, qui
vient de perdre sa mère, madame Noé – dont la famille possédait des moulins à
Ham, à quelques kilomètres de là –, morte à 80 ans dans cette ferme dont elle
faisait encore quelques mois auparavant le tour tous les soirs avant de se
coucher, vêtue de son grand tablier bleu noué à la taille, une lampe tempête à
la main, l’électricité étant bannie des lieux de peur du feu… Il y a aussi les
parents de la jeune fille, les Levé, Henri et Marie, et leur fils, Eugène,
ainsi que Berthe Pommery, la mère du jeune homme fringant et gai sans oublier
Jean, son frère aîné de plus de dix ans. Le père de Louis, Célestin Virgile,
mort à 71 ans en 1912, n’est pas là pour assister au bonheur de son fils cadet.
Mais Louis l’a toujours connu comme un vieux monsieur distant dont les
dernières années avaient été assombries par la faillite de son entreprise
textile, spécialisée dans les devants de chemise.
Cette journée, Louis la rêve
depuis longtemps, depuis qu’à treize ans, un jour béni des dieux, il rend
visite à Eugène Levé, son copain de classe du lycée Henri Martin qui loge avec
sa famille dans un hôtel particulier de Saint-Quentin. Là, il y rencontre la
femme de sa vie en la personne de Louise, la sœur d’Eugène. Instantanément, il
sait qu’il l’épousera. Et son amour n’est pas de circonstance. De même, la
flamme de son cœur ne s’éteindra jamais. Tout au long de sa vie il aimera,
voire il adorera cette jeune fille, cette jeune femme, cette femme qui lui
donnera deux filles et un amour réciproque. Vingt-cinq ans après cet heureux
évènement de 1914, le 16 février 1940 en pleine tourmente d’une autre guerre
mondiale, il écrit à propos de sa compagne de toute une vie, «J’attends Louloue
demain pour un week-end d’amoureux dont je me suis fait une fête toute la
semaine». Et de ce week-end, il s’en souviendra comme «Deux journées exquises
ajoutées au trésor incomparable de nos souvenirs»…
Que de fois du village familial
de Moy-de-l’Aisne, lorsqu’il passe quelques jours de vacances à la campagne, ou
de Saint Quentin, il prend sa bicyclette pour se rendre chez les Legrand pour
retrouver, en tout bien tout honneur, sa bien-aimée et se promener tous les
deux dans ce jardin où ils sont réunis à présent. Là, en parcourant les allées,
leur tendre bavardage construit l’avenir dont ils rêvent. Il part généralement
le matin de bonne heure, passe par le marais et sent qu’il n’est plus très loin
lorsque l’odeur des feux de tourbe emplit ses narines. Alors, il s’arrête un
instant pour savourer son bonheur prochain auquel il n’a cessé de penser tout
au long de la route. Quelques minutes encore et un jour délicieux va commencer
qui passera bien trop vite pour Louise et lui.
Le 127° régiment en 1913 |
Pendant ses classes à Valenciennes |
Lundi 3 août 1914, la France
déclare officiellement la guerre à l’Allemagne. Louis part sur le front pour se
retrouver rapidement dans le bourbier des tranchées humides et froides du
Nord-est de la France, parfois à quelques kilomètres seulement de sa terre
natale, pendant que la Picardie, sa Picardie, maintes fois mises à l’épreuve
des guerres au cours de l’Histoire, souffre une nouvelle fois, terriblement, de
ce cataclysme effroyable.
Et lorsque les deux jeunes
amoureux reviennent à Ollezy en 1918, ils n’y voient que ruines et dévastation.
Plus de beau jardin aux fleurs riantes et aux arbres majestueux, plus de
maison, plus rien de ce qui avait été un des lieux témoins de leur amour…
Entretemps, ils auront affronté
les affres de la Grande Guerre. Bien sûr, ils sont trop jeunes pour avoir connu
la guerre de 1870 mais Louise a été élevée par sa grand-mère dans la haine de
l’Allemand, celui qu’on appelle de plus en plus souvent le Boche depuis lors,
ce conflit qui a déjà dévasté la région lors de cette première confrontation
qui tourna à l’avantage de cet ennemi venu de l’Est. Quant à Louis, il va vivre
la terrible réalité des offensives meurtrières et de la désolation.
«Jamais le ciel plus bleu, ni le
bonheur plus mûr, la vie plus désirable» a écrit Paul Valéry pour dépeindre cet
été 1914 où la folie des hommes va provoquer une des plus grandes tueries de
tous les temps, seulement dépassée par le deuxième conflit mondial qui en est
directement issu, vingt-cinq ans plus tard.
Cette première guerre mondiale
est dure pour les Picards en général et pour les familles de Louis et Louise en
particulier. Et même si la mort est clémente avec Louis et son frère, le jeune
homme n’en est pas moins blessé deux fois. De même, les dévastations touchent
tous les lieux familiaux. Demeurée d’abord à Saint-Quentin, la mère de Louis
est obligée de quitter la ville par les Allemands. Pendant toute cette épreuve,
tous les jours, elle écrit un journal qui est, avant tout, un long cri d’amour
et d’attente vis-à-vis de ses deux fils. Louise, elle, part se réfugier à Paris
tandis que ses parents vivront l’occupation allemande et la déportation.
Pour l’instant, ce conflit de
plus de quatre années ne fait que commencer. Le 1er août, la
mobilisation générale est décrétée et une affiche est placardée sur les murs
des villes et des villages de France:
«Par décret du Président de la
République, la mobilisation des armées de terre et de mer est ordonnée ainsi
que la réquisition des animaux, voitures et harnais nécessaires au complément
des armées.
Le premier jour de la
mobilisation est le dimanche 2 août 1914.
Tout Français soumis aux
obligations militaires, doit, sous peine d’être puni avec toute la rigueur des
lois, obéir aux prescriptions du fascicule de mobilisation (pages coloriées
placée dans son livret).
Sont visés par le présent ordre
tous les hommes non présents sous les drapeaux et appartenant:
1° A l’armée de terre, y compris
les troupes coloniales et les hommes des services auxiliaires;
2° A l’armée de mer, y compris
les inscrits maritimes et les armuriers de la marine.
Les autorités civiles et
militaires sont responsables de l’exécution du présent décret.»
En rejoignant son régiment, Louis
repense certainement à ce mois d’octobre 1912 où, à dix-neuf ans, il part au
service militaire qui, à l’époque, dure trois ans. Il est, comme tous les
jeunes gens de Saint-Quentin, affecté à la caserne Saint-Hilaire construite
dans la ville picarde après 1870 et qui abrite le 87° R.I. Mais Louis choisit
de passer le brevet de «chef de section» afin de pouvoir bénéficier d’une
libération au bout de deux ans. En octobre 1913, il quitte Saint-Hilaire pour
rejoindre le peloton des élèves sous-officiers de réserve à Amiens. En août
1914, il devient sous-lieutenant de réserve au 127° R.I. Evidemment, plus
question pour lui d’une libération anticipée…
Selon les archives de l’armée
française sur le 127°, les préparatifs de la mobilisation commencent le 2 août
sous les ordres du Colonel de Riols qui le commande. Puis, le mercredi 5 août au matin, le
régiment défile au milieu de la population qui est «sérieuse, émue et fière de
voir ses soldats partir avec enthousiasme, et foi au cœur où le devoir les
appelle».
Le régiment est transporté
ensuite par train dans les environs de Hannapes sur le front des Ardennes où il
cantonne jusqu’au 10 Août. Louis y est accueilli, triste présage, par la
pluie.
Puis il part pour Hannapes et, le
10 août, s’arrête à Montcornet où il écrit dans son Agenda militaire
Berger-Levrault de couleur rouge dont tout soldat est doté: «Journée de marche
très fatigante; chaleur terrible. Arrivée Montcornet 7 heures du soir».
Ensuite, c’est Secheval, Montigny-sur-Meuse puis le passage en Belgique.
Entre ce 10 août et le 15, le régiment
est transporté ainsi par étapes dans la région belge de Gochenée, à Anthée,
près de Dinant où l’ennemi est en contact avec les troupes alliées. «Ces étapes, dit l’armée, ont mis au point le
régiment d’Infanterie; chacun se connaît et la confiance des uns et des autres
s’est fortifiée». Et du 15 au 22 Août, le 127° occupe et organise à
Morville-Maurennes et Hastière des emplacements de soutien des unités engagées dans
la région de Dinant.
Les opérations militaires ne
commencent réellement que le 20 août. Et le dimanche 23 août, c’est le baptême
du feu pour Louis, à Saint-Gérard, avec la première bataille, les premiers obus
et la première retraite.
Le récit de l’armée:
«Après une lutte d’artillerie de
deux heures environ, les deux infanteries
entrent en contact. Il est huit heures du matin, une vive fusillade se
déclenche, les coups de l’ennemi venant de la lisière du bois. Les batteries
françaises sont d’abord prises violemment à partie par les batteries ennemies,
puis celles-ci arrosent de shrapnels et d’obus explosifs nos positions
d’Infanterie. Vers quinze heures, les unités en première ligne reçoivent
l’ordre de se replier par échelons successifs.
Ce repli s’effectue avec beaucoup
de difficultés, le tir des batteries ennemies redoublant de violence et
l’infanterie adverse, très supérieure en nombre, suivant de près notre
mouvement, nous inflige, par son feu nourri, des pertes sérieuses.
A 19 heures, les unités du 127°,
après avoir traversé Bioul et s’être reformées à la sortie de cette localité,
reçoivent de la division l’ordre de battre en retraite dans la direction
d’Ermeton-sur-Biers. Ayant commencé le mouvement, le régiment Bivouaque dans le
Bois de Denée pendant une partie de la nuit, et reprenant le mouvement de
retraite, il cantonne en fin de journée à Matagne-la-Grande.
Au cours de ce premier combat, le
régiment a perdu le Commandant Vinvens, tombé à la tête du premier bataillon,
deux officiés et environ 160 tués ou blessés tombés aux mains de l’ennemi, 95
blessés, dont 3 officiers ont put être évacué à l’arrière.»
Une seconde se déroule le mardi
25 août à Mariembourg. Un «combat rude», note-t-il, au cours duquel il est
légèrement blessé l’après-midi comme le confirme par écrit son commandant:
«Le Capitaine Gardel du 113°
Régiment d’Infanterie certifie que le Sous-lieutenant Pommery a été blessé sous
ses ordres comme chef de la 4° section de la 8° compagnie du 127° d’infanterie
le 25 août 1914 au combat de Mariembourg en Belgique. Cet officier est tombé à
mes côtés atteint dans le dos d’un éclat de balle ou d’obus.
Mis, par la suite de cette
blessure, dans l’impossibilité de suivre le mouvement de retraite du régiment,
il a rejoint sa compagnie après être resté deux jours dans les lignes
allemandes».
Le récit de l’armée:
«A 4 heures 30, il reçoit l’ordre
d’organiser le barrage de Mariembourg. Les unités prennent immédiatement leurs
positions et à 9 heures le combat est engagé entre nos avant-postes et des
groupes de cavaliers et de cyclistes ennemis.
L’artillerie ennemi arrose de Shrapnels et d’obus explosifs
le village de Mariembourget la Route de Mariembourg à Frasnes. Malgré la
surprise que causait à nos soldats l’éclatement gros projectiles ennemis « des
gros noirs » comme ils disaient, qui pouvaient à juste titre provoquer une
compréhensible émotion, jusqu’à 16 heures, l’infanterie allemande est tenue en
échec. Les mitrailleurs du 1er Bataillon, du Lieutenant Du Gouedic,
mitraillent à courte distance une colonne allemande et tiennent jusqu’au
dernier moment.
Le Colonel De Fonclare qui se
tient avec les derniers éléments, s’adresse à un terreur, le Soldat Fremaux, et
lui indique l’ennemi. Le mitrailleur répond « je les laisse venir à portée, mon
Colonel, quand ils seront en haut de la route bien droite, vous aller les voir
sauter. »
Et, en effet, calme, maître de
lui, il arrête l’ennemi à 300 mètres, permet au reste de sa section de se
replier, parvient à se dégager lui même et rejoint, deux jours après, le régiment
en ramenant sa pièce, après avoir jeté l’autre dans le ruisseau de Mariembourg.
La médaille militaire fut la juste récompense de ce soldat qui devint un valeureux
Sergent et fit toute la campagne.
A 16 heures, l’avis d’avoir à
préparer un nouveau mouvement de retraite parvint au 127e qui a
rempli sa mission en retardant la marche de l’ennemi. Le mouvement est ordonné
à huit heures ; il s’effectue sous la protection des feux d’une Compagnie du
Génie et de deux Bataillons du 43e régiment d’Infanterie, établis sur
les hauteurs du village de Frasnes. Le Commandant Hulot, commandant le 3e
Bataillon, est blessé à ce moment.
Malgré l’interdiction ennemie, le 127e Régiment d’Infanterie,
réussi à passer la rivière de Mariembourg et gagne la route de Frasnes. Les
dernières fractions, vivement pressées par l’ennemi qui a réussi à atteindre
les abords du village, se replient, sous les ordres directs du Colonel, sur les
hauteurs boisées de Nismes-Pétigny, d’où elles gagnent Couvin. Dans la nuit, le
Régiment se rassemble et cantonne à Cul-des-Sarts.»
Le 26 il est encore dans les
Ardennes à Rocroi mais le 28 l’heure de la retraite sonne à nouveau et le voilà
à Cilly dans son département natal de l’Aisne. Ensuite, c’est Le Hérie, le 29
où il couche derrière une ferme en feu, le régiment ayant été envoyé à cet
endroit pur prendre par à l’attaque du hameau de Clanlieu.
Le récit de l’armée:
«Le 3e bataillon,
remontant vers le Nord, occupe la Ferme de Bretagne où il reçoit l’ordre
d’attendre. Les 1er et 2e bataillons marchent sur Le Hérie
et l’ordre d’attaquer leur parvient à 17 heures. La résistance est opiniâtre.
Mais les clairons sonnent la charge, les drapeaux sont déployés, l’ennemi est
bousculé et les troupes de la 1ière division progressent de 5
kilomètres. Cette attaque continue ainsi jusqu’à 20 heures.
Le 3e bataillon reste
accroché à la Ferme de Bretagne, Clanlieu est occupé, et la progression
s’arrête sur Audigny où l’ennemi résiste énergiquement.»
Le dimanche 30 août, nouvelle
retraite.
«A trois heures, ordre est donné
d’abandonner Clanlieu et de se replier sur le Hérie. Ce repli s’effectue
lentement pour les 1er et 2e bataillons, le 3e
Bataillon restant à la Ferme de Bretagne où il est accroché.
A 6 heures, ordre est donné de
reprendre Clanlieu avec toutes les fractions disponibles. Les 1er et
2e bataillons se portent à l’attaque à l’Est du village mais ne
peuvent déloger l’ennemi qui s’y est fortement organisé et qui, appuyé par une
artillerie nombreuse, fait subir aux unités d’attaque de lourdes pertes.
Les deux bataillons se retirent
lentement sur le Hérie où le Régiment rassemblé de nouveau reçoit l’ordre de se
replier au Sud-Est de Faucouzy.»
Louis continue à se replier vers
Gizy puis Meurival, après la bataille de Guise, à Bois-les-Pagny. «Journée très
fatigante», écrit-il.
Le récit de l’armée:
«Pendant six jours, pendant six
nuits, c’est un repli ininterrompu, sans halte, sans repos, sans sommeil, sans
repas chaud ou froid. La troupe grogne parce qu’elle dépasse toujours le
kilomètre suivant où on lui promet de s’arrêter, mais elle marche cependant et
en ordre, parce qu’elle sait, d’une part, que si l’on traîne, l’ennemi qui
talonne vous ramasse et que, d’autre part, le recul qu’elle fait a un but qu’elle
devine et qu’elle attend.»
Le 2 septembre le régiment se
trouve dans le département de la Marne, à Lhéry. Il va donc être de la fameuse
bataille de la Marne qui se déroule du 5 au 12 septembre 1914.
Le jeudi 3 septembre, la troupe
passe l’affluent de la Seine puis couche dans les tranchées. Le vendredi 4
septembre, Louis dort dans un fossé. Le samedi 5 septembre, on leur annonce
l’offensive pour le lendemain dont le but est d’empêcher les Allemands de
prendre un avantage décisif. Il note: «La Papendière. Campement part à 9 heures
/ Arrivée à 21 heures».
Le récit de l’armée:
«Le 5 septembre, le régiment
cantonné à la Ferme de la Paimbaudière
est alerté. Il apprend, tout vibrant, que l’offensive est reprise le
lendemain. Les hommes oublient leurs fatigues, leurs misères des jours et des
nuits précédents, écoutent et se pénètrent du fameux ordre du jour du Général
Joffre qui leur est lu ce soir là par leur Commandant de Compagnie: ‘Au moment
où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à
tous que ce moment n’est plus de regarder en arrière; tous les efforts doivent
être employés à attaquer et refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus
avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur
place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune
défaillance ne peut être tolérée’.»
Il vit cinq jours terribles. Le
dimanche 6 septembre, c’est la bataille de Montmirail où il passe son
après-midi sous le feu de l’artillerie ennemie. Il dort derrière une meule de
foin.
Le récit de l’armée:
«Le 6 Septembre, la 5e
Armée dont fait partie le 127e régiment d’Infanterie simultanément
avec les armées voisines prend l’offensive dans la direction générale de
Montmirail. Le 1er corps attaque dans la direction des
Essarts-Le-Vicomte, Esternay, Champguyon, Montmirail.»
Le lundi 7 septembre, il est à la
ferme de Rieux où des combats ont lieu toute la matinée.
Le récit de l’armée:
«Le 127e régiment
d’Infanterie trouve le premier le contact à Esternay. La lutte d’Infanterie est
violente. Les deux artilleries font rafe. Le 127e gagnant du terrain
occupe les Côtes 196 et 200. Sa progression s’accentue au delà de ces points
jusqu’à 19 heures. En fin de journée, le régiment couche sur ses positions. Le
7 septembre, à 7 heures, la progression reprend. L’ennemi, décimé par notre
artillerie, bat en retraite. La poursuite commence. Cantonnements en fin de
journée à Rieux et le Monat.»
Le mardi 8 septembre, c’est une
«journée d’artillerie» qui blesse quatre soldats du régiment.
Le mercredi 9 septembre est plus
meurtrière avec la bataille de Magny où l’on relève deux tués et dix-huit
blessés parmi ses camarades.
«Le 9 Septembre, à 4 heures, le régiment
après avoir dépassé Vauchamps, se porte à l’attaque de Magny où l’ennemi s’est
accroché et d’où il lance une contre-attaque sur notre droite. Prononcée à 16
heures, elle est enrayée par nos feux et repoussée par deux compagnies en
réserve du régiment. Magny est enlevé et la progression s’accentue au-delà. A
18 heures, l’ennemi en déroute se replie, poursuivi par le régiment qui peut
cantonner le soir à Fontaine-Chacun.
Le Lieutenant-Colonel Boudhors,
blessé au cours des combats du 9 septembre, est remplacé, dans le commandement
du Régiment, par le Chef de Bataillon Seupel.
Enfin, cela se calme le 10
septembre où il arrive à Dormans occupée quelques jours auparavant par le
général prussien Büllow. «Une petite ville enfin!», écrit-il. On fête le répit
au Dubonnet. Et l’on sait recevoir les soldats: «Amabilité» de l’hôtel; Bonne
nuit».
Le récit de l’armée:
«Les 10, 11, 12 et 13 septembre,
le mouvement en avant continue. La Marne est passée à Dormans, le 11 au matin.
Les allemands ont fait sauté les ponts et c’est sur les ponts du Génie que les
troupes franchissent allègrement cette rivière dont le nom, qui devient un
symbole, est couronné par l’ordre du jour suivant, du Général Joffre : ‘La
Bataille qui se livre depuis 5 jours, s’achève en une victoire
incontestable. La retraite des I°, II°
et III° armées allemandes s’accentue devant notre gauche et notre centre. A son tour, la IVe armée ennemie commence à se replier au Nord
de Vitry et de Sermaise. Partout, l’ennemi laisse sur place de nombreux blessés
et des quantités de munitions. Partout on fait des prisonniers ; en gagnant du
terrain, nos troupes constatent les traces de l’intensité de la lutte et de
l’importance des moyens mis en œuvre par les Allemands pour essayer de résister
à notre élan. La reprise vigoureuse de l’offensive a déterminé le succès. Tous,
officiers, sous-officiers et soldats avez répondu à mon appel. Vous avez bien
mérité de la Patrie’.»
Après un passage à Ormes dans le
département de l’Aube, la confrontation reprend le dimanche 13 septembre avec
la bataille de Reims.
«Le 13, Reims est occupé par le
127° qui stationne au Nord et au Nord-Est de cette ville. L’attaque des
hauteurs de Béru et de Brimont est continuée par le 3e Corps
d’Armée.
Le 14 Septembre, la lisière Nord
du Bois de Soulains et la Ferme Modelin sont attaqués par les 3° et 2°
Bataillons. L’ennemi résiste avec acharnement. A 16 heures 15, l’attaque est
reprise pas le régiment engagé en entier et, en fin de journée, les objectifs
assignés sont atteints.
Dans la nuit du 14 au 15 le régiment,
relevé par le 84° d’Infanterie, va cantonner à la Neuvillette. Le 3° bataillon
et la 8° Compagnie trop fortement accrochés ne sont relevés que dans la soirée
du 15.
16 et 17 septembre, mouvement du
régiment vers l’Ouest qui occupe, le 18, Gernicourt et le Bois de Gernicourt
avec l’ordre de s’organiser pour résister sur place à toute tentative de
l’ennemi.»
Le 17 septembre, retour dans
l’Aisne, à Roucy, où le régiment prend ses quartiers jusqu’au 30 septembre. Ce
matin-là, le général de division passe en revue les troupes. Au moment où l’on
joue la Marseillaise, voilà qu’un avion allemand en mission de reconnaissance
survole les soldats bien alignés. Et Louis nota avec un certain humour: «Quelle
tête s’il avait lancé une bombe sur le régiment massé»… De là, il part,
jusqu’au 20 octobre pour Gernicourt, toujours dans l’Aisne. Mais, dès le 1er
octobre, il se languit de Louise. «Voilà deux mois de mobilisation, deux mois
de notre séparation», marque-t-il avec son crayon noir sur les fines pages de
son petit agenda.
Le 15 octobre, une bataille
éprouvante s’engage à la côte 91, près du bois de Gernicourt. Son régiment est
durement touché avec douze tués et quarante-sept blessés. Il note: «Journée
épouvantable». Mais que dire des autres régiments qui se battent à ses côtés.
Le cinquième a cent deux disparus et le sixième, quatre-vingt-dix. Même Louis
est légèrement blessé en recevant quatre balles!
Le récit de l’armée:
«Le 15 Octobre, le régiment
reçoit l’ordre d’attaque la côte 91 avec un bataillon de tirailleur Sénégalais.
A 4 heures 45, le 2e bataillon passant par Berry-au-bac et l’Ouest
de la Côte 108 se porte en avant vers la lisière Ouest du Bois de la Côte 91.
Le bataillon de tirailleurs et le 3e bataillon suivent son
mouvement. Le 1er bataillon, franchit le canal à Sapigneul pour
suivre la progression. L’ennemi qui occupe des positions puissamment organisées
résiste énergiquement. Ses feux de mousqueterie, de mitrailleuse et ses
barrages d’artillerie déciment nos unités qui doivent se replier sur la rive
droite du canal.
Au cours de ce combat se
distinguent entre autres le capitaine Danzel d’Aumont, le caporal Trupin qui,
parti volontairement pour porter un ordre, rencontre en revenant des hommes
qui, affolés par l’éclatement des premières mines, ont lâchés leurs tranchées,
les prend sous son commandement, les ramène et ressoude la ligne interrompue.
La médaille militaire fut la juste récompense de sa belle conduite.
C’est aussi là que fut tué le lieutenant-colonel
Legros qui suit le combat à l’abri d’un arbre qu’un obus effondre sur lui. Le capitaine
plataret prend le commandement du régiment jusqu’au 17 Octobre, puis le chef de
bataillon Leydis jusqu’au 2 où il est remplacé par le lieutenant-colonel Lamboley.»
Puis ce sont les tranchées de
Berry-au-Bac dans l’Aisne, un retour à Gernicourt puis le départ vers Bourgogne
dans la Marne et, le 27 octobre, le régiment arrive dans la ville des Fismes,
toujours dans la Marne, situé entre Reims et Soissons où le régime stationne
jusqu’au 30 du même mois. Louis ira aussi, pendant cette période dans l’Aisne,
notamment à Brenelle, Saint-Marc et Soupir.
Du 1er au 16 décembre,
retiré du front, le régiment s’installe dans la région de Paars, Trélon et
Rosnay. Puis le 17 décembre, il rejoint Fismes pour être transporté dans la
région de Cuperly-la-Cheppe.
Le service automobile du 13° régiment le 14 juin 1916 |
Lorsqu’il le rejoint, celui-ci
participe à a bataille du plateau de Vauquois situé entre Reims et Metz dans le
département de la Meuse.
Le récit de l’armée:
«Comme il domine la forêt de
Hesse, la vallée de l'Aire et le versant oriental de la forêt d'Argonne, le plateau
de Vauquois dresse dans l'histoire du régiment, bouleversé par les obus et les
bombes,écorné par des mines énormes qui, de jour en jour, en ont changé le
profil, sa masse blanche et nue.
Aux derniers jours d'août 1914,
après les malheureux combats sur la Meuse, les batteries du 13° avaient
traversé le village de Vauquois encore intact. Elles avaient descendu les
pentes de la colline par ses chemins encaissés où pendaient des branches chargées
de fruits. Elles avaient traversé les riches vergers et les pâturages qui
s'étendaient à ses pieds sans songer qu'un jour, elles contribueraient à
détruire, une à une, toutes les maisons, à raser toutes ces richesses,
jusqu'aux dernières pierres de l'église, jusqu'au gros tilleul de la place.
Pendant dix-huit mois, tapis dans
la forêt de Hesse, les canons du 13° firent leur œuvre. Il ne s'est guère passé
une attaque sans qu'ils n'y aient participé et quand la division, au début de
1915, eut conquis, au prix des sacrifices les plus sanglants, cette importante
position, c'est à eux encore qu'échut la mission de veiller, à tous les
instants, sur le résultat de notre conquête.
C'est pourquoi, malgré tant de
batailles qui suivirent, Vauquois, dont le seul nom évoque la souffrance et la
mort, restera peut-être pour le régiment le souvenir le plus vivace de la guerre.»
(…)
La situation dans Vauquois, telle
qu'elle était au début de 1915, devait rester très longtemps sans changement.
La guerre de tranchée s'établit dans la forêt de Hesse comme-sur tout le front français.
Une vie nouvelle commence pour le régiment qui doit renoncer à ses beaux
espoirs de marche en avant et de batailles libératrices.
L'artillerie de campagne se
transforme en artillerie de siège. Les toiles de tente que l'on avait dressées
derrière les caissons, lors des attaques de mars, se montrèrent rapidement
insuffisantes contre la pluie et la neige incessantes. Elles sont remplacées
par des branchages, des morceaux de planche, des tôles, du carton goudronné,
cependant qu'aux abords de la batterie les servants se creusaient dans la terre
de solides abris. Dans chaque batterie on tire peu. On reste souvent plusieurs jours
sans tirer. Tout le temps est employé à l'aménagement de la position. Après les
abris des hommes, s'élèvent les casemates des pièces, les postes de
commandement, les postes téléphoniques.
L'artilleur se fait sapeur. La
forêt qui l'entoure lui fournit le bois en abondance ; les services de l'arrière
: les planches, les clous, les outils. Le régiment, grâce à son entrain au
travail comme au combat, grâce a son recrutement de mineurs qui fournissent
d'excellents chefs d'équipe, organise puissamment ses positions et mérite les
éloges du général commandant l'armée.
Jusqu'à leur relève — 2 août 1916
— les batteries se déplacèrent peu. Ces déplacements de peu d'importance du
reste, nécessités bien plus par le souci de se soustraire au bombardement
ennemi que par un changement de mission, étaient le plus souvent mal vus de la
troupe qui, pour ne trouver que la terre nue, abandonnait avec regret le résultat
de longs mois de travaux.
(…)
La mission du régiment pendant
l'année 1915 et la première moitié de 1916 fut exclusivement défensive. Une
seule fois, le 6 juin 1915, nous attaquions la partie ouest du plateau. Cette
attaque échoua et à l'exception des petits engagements locaux qu'entraînaient
les explosions de mines et les coups de main, aucune opération de grande
envergure ne fut tentée ni par les Français, ni par les Allemands. Au cours de
l'offensive française en Champagne, le régiment dut éventuellement prêter son
concours à une offensive du 5° C. A. Les batteries furent alertées, les
échelons poussés à proximité des positions, un programme d'action élaboré, mais
tout resta en place.
Cette stabilité fit naître une
organisation très complète du secteur. Les liaisons multipliées, consolidées,
permettent la transmission rapide des renseignements et les demandes de
l'infanterie.
Les observatoires, occupés en
permanence par des gradés hors ligne, transmettent sans retard le moindre
changement d'aspect des lignes, la moindre activité de l'ennemi au poste de commandement,
tenu ainsi très exactement au courant de ce qui se passe. Si le renseignement mérite
d'être exploité, une batterie est mise en relation avec l'observateur qui
dirige et règle ses feux sur l'objectif révélé. Les batteries sont donc actionnées
d'une part par les observateurs. Elles le sont aussi par l'infanterie, soit
directement par le système des fusées-signaux, soit par l'intermédiaire du commandant
de l'artillerie auquel l'infanterie a adressé ses demandes. Elles sont enfin
employées à l'exécution de tirs systématiques : tirs de représailles,
d'interdiction sur les voies et communications ennemies de concentration, de
contre-préparation lorsqu'une attaque allemande semble se préparer.
A l'intérieur de la batterie,
tout est mis en œuvre pour remplir la mission confiée dans les conditions les
meilleures. Toute la nuit un homme guette les fusées que peuvent lancer les
observateurs et les postes d'infanterie. Les pièces, à tour de rôle, sont de
garde, prêtes à intervenir au moindre signal.
Au seul cri de «Barrage!» du
guetteur, chacun saute à son poste quelles que soient l'heure et les circonstances.
Pour faciliter l'exécution rapide des ordres, les commandants de batterie
rivalisent d'ingéniosité : cornes, cloches, sonneries électriques, téléphones,
tous les moyens de se faire comprendre vite par des hommes répartis en plusieurs
abris et profondément endormis sont bons.
Certaines positions sont si bien
aménagées que l'ordre de tir du capitaine est exécuté par les pièces sans que
personne n'ait eu à sortir du réseau de sapes et de galeries qu'est devenue la
batterie.
La pensée de tous les commandants
de batterie, à cette époque où le long stationnement permettait un repérage
précis et l'écrasement sans merci si des précautions n'étaient pas prises, est
dominée par le souci constant d'exposer le moins possible le personnel. C'est à
cette préoccupation de tous les instants que le régiment dut la faiblesse de
ses pertes, malgré des bombardements excessivement violents. La 3° batterie au
château d'Abancourt, la 9° dans la butte de Bertrametz, la 7° à la Fontaine-aux-Chênes,
étaient devenues, par un travail quotidien d'amélioration et d'entretien, de véritables
forteresses et défiaient les calibres les plus imposants.
Pendant dix-huit mois, par tous
les temps, sous les pluies et la neige de l'hiver, sous le soleil brûlant d'août,
les hommes, que nulle peine, nul déboire ne rebutaient, firent l'admiration de
leurs chefs.
Travailleurs infatigables par les
jours de calme, ils savaient se montrer aux jours de combats de redoutables
canonniers. Ni la longueur de la guerre, ni la monotonie de leur existence, ni
l'obsédant souvenir des êtres chers laissés au pays, ni la pensée de mourir
sans gloire, écrasés dans une casemate ou dans un abri n'abattirent leur humble
courage. Une claire notion du devoir dominait tout et l'accomplissement leur en
était étrangement facilité par le sentiment de camaraderie profond qui unissait
chefs et soldats. Souvent très éloignées les unes des autres, les batteries ne
se fréquentaient pas et comme elles restaient en position des mois entiers,
elles devenaient rien vite un cercle fermé, une grande famille unie par les
mêmes besoins, les mêmes craintes, les mêmes dangers, le même amour de la
patrie. Durant cette guerre de secteur, la tenue au feu des canonniers ne fut
pas moins belle qu'aux jours de grands combats. Les actes de bravoure ni se
comptent plus chez des hommes dont la plupart sont des vétérans et la seule
crainte d'en omettre de plus dignes empêche de citer des noms.
Aux observatoires, aux batteries,
sur les routes de ravitaillement, dans l'implacable boue de l'Argonne tenace
jusqu'aux plus beaux jours de l'année, les hommes qui savaient souffrir en
silence surent mourir simplement sans connaître l'ivresse des grandes
batailles. Et ce qui, peut-être, vous fit si grands, artilleurs de Vauquois,
loin des luttes triomphantes où vos frères d'armes rassemblaient les palmes et
les honneurs, c'est d'avoir gardé, malgré votre immobilité énervante de
dix-huit mois, ces vertus militaires qui allaient faire de vous, sur les champs
de bataille de la Somme, de si beaux soldats.»
En permission avec Louise janvier 1916 |
Le 21 juillet 1918, cantonné à
Puget-sur-Argens, le camp de transit de l’Armée
française d’Orient (AFO) qui a combattu en Grèce et notamment à
Salonique, il écrit à Louise:
«Ma petite chérie, je t’envoie un
petit mot ce matin de dimanche. Au dos ma résidence actuelle. Les baraques sont
blanches et au milieu d’une plaine desséchée et un soleil de plomb.
Heureusement on n’a rien à faire car par cette chaleur le moindre travail est
pénible! Et encore il fait relativement supportable dans les baraques mais
dehors! Le communiqué confirme les heureux résultats de nogtre offensive.
Puisse-t-elle être le prélude d’opérations décisives. Je t’aime ma petite
chérie et t’embrasse très tendrement. Ton Louis.»
Il termine la guerre en étant au
19° escadron du train qui est cantonné à Paris et rattaché au gouvernement
militaire de la capitale.
Au sortir de la guerre, il est
définitivement démobilisé le 12 juin 1919 et déclaré «inapte définitif» avec le
versement d’une pension pour une infirmité de 10%. Celle-ci, selon le médecin
qui l’examine fait ressortir un «léger emphysème pulmonaire sans signe de
bronchite actuelle» avec «inspiration humée, expiration saccadée, rudesse
respiratoire». S’il n’y a pas de «bruits adventices», il «accuse de la dyspnée
d’effort et une petite fièvre vespérale fréquente» avec une radio «sommets gris
s’éclairant incomplètement surtout à droite, champ d’aspect emphysémateux».
Néanmoins, le médecin indique un «état général satisfaisant en apparence».
Il aura passé près de six ans et
demi dans l’armée d’octobre 1912 à juin 1918.
Surtout, il retrouve enfin Louise
qui l’a attendue. Mais il ne retrouve pas sa Picardie, dévastée par les combats
et par la volonté de l’ennemi de détruire mais aussi, quelques fois, par les
troupes françaises elles-mêmes… En octobre 1918, un mois avant l’armistice, un
spectacle de désolation l’attend lorsqu’il pénètre avec quelques éléments
avancés dans sa ville de Saint-Quentin. Il circule au milieu des ruines dans
des rues totalement désertes. Il est pris par ce silence et ce vide. Et puis le
voilà devant le 12 de la rue de Chateaudun, la demeure de Louise, totalement
détruite. Auparavant, il s’était arrêté devant le numéro 13 de la rue de la
Caisse d’Epargne, devant cette grande bâtisse sans charme où il avait vécu son
enfance et sa jeunesse.
Et que dire de la ferme d'Ollezy, cette maison où il s'est fiancé un jour de juillet 1914 avant de devoir partir pour le front quelques jours plus tard, cette maison qui avait été le théâtre d'une des journées les plus joyeuses de son existence. Elle n'est plus que ruines, détruite par l'armée allemande. Les familles Pommery et Levé paieront un lourd tribut matériel lors de cette Première guerre mondiale. Mais les deux frères Pommery qui partirent au front revinrent sain et sauf, ce qui est l'essentiel.
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